Ô jours resplendissants roulés par l’eau de mer,
et denses en leur cœur comme une pierre jaune,
ô la splendeur d’un miel respecté du désordre
qui préserva leur pureté rectangulaire.

L’heure crépite ainsi que l’essaim ou la flamme,
et vert est le besoin de plonger dans des feuilles
avant que tout en haut le feuillage devienne
un monde scintillant qui s’éteint et murmure.

Soif du feu, multitude ardente de l’été
ô paradis que font seulement quelques feuilles :
pour la terre au visage obscur, pas de souffrances,

pour tous l’eau ou le pain, pour tous l’ombre ou la flamme ;
et que plus rien, plus rien ne divise les hommes
que le soleil, la nuit, la lune, les épis.

Pablo Neruda

Chers abonnés, la mise en page de ce deuxième volet sur l’hospitalité, vérifiée via l’aperçu, est telle que prévue. Si par malchance ou autre cause inconnue, un autre couac survenait, veuillez je vous prie m’en excuser. L’ironie du sort fait que l’onglet de prise de contact avec wordpress pour régler ce problème ne répond pas, désespérément inactif! Alors ma foi, gardons le sourire malgré tout, le contenu étant plus important que sa mise en forme même si cette dernière rend la lecture plus agréable pour celles et ceux qui liront ce billet. Je tiens à vous remercier à nouveau de votre compréhension.

Le Musée national de l’histoire de l’immigration a pour mission de rassembler, sauvegarder, mettre en valeur et rendre accessible l’histoire de l’immigration en France, pour faire connaître et reconnaître le rôle de l’immigration dans la construction de la France, en montrant l’apport des immigrés au développement économique, aux évolutions sociales et à la vie culturelle du pays.

Le MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, est le seul musée à être exclusivement consacré à la scène artistique en France depuis les années 1950. Le projet du musée s’est développé sur près d’une quinzaine d’années, suite à la création en 1982, du Fonds Départemental d’Art Contemporain. Ce projet est né de la conviction du Conseil départemental du Val-de-Marne qu’un soutien à la création artistique, tourné résolument vers le public, concourt à l’épanouissement de chacun, à la connaissance de l’autre, au respect mutuel, à la cohésion sociale. Une vision humaniste de la culture qui s’illustre dans les différentes missions du musée. 2500 œuvres composent la collection.

Persona grata est aujourd’hui le résultat d’un travail exceptionnel de coopération et d’entente, autour de deux collections qui créent une exposition et d’une programmation culturelle associée pour éclairer ce thème d’actualité.

Persona grata au MAC VAL

Quand un défi humanitaire sans précédent se joue aux portes de l’Europe, le Musée d’art contemporain du Val-de-Marne et le Musée national de l’histoire de l’immigration s’associent et proposent Persona grata: un regard croisé dans leurs collections afin d’envisager le sens et la place de l’hospitalité dans notre société.

L’accroissement des flux migratoires occupe une place grandissante dans un débat public dont l’influence tend à bousculer les fondements de nos valeurs constitutionnelles. Une dynamique organisée de contrôle des frontières semble ainsi opérer un renversement irréversible du devoir d’hospitalité tandis que des mobilisations associatives et citoyennes s’amplifient, osant si besoin la désobéissance civile, pour soutenir et accueillir les plus fragilisés. À leur manière, les artistes s’emparent de ces sujets. Certains témoignent, tandis que d’autres produisent des œuvres qui, avec la distance de l’art, autorisent une appréhension autre de notre réalité contemporaine. Les œuvres réunies ici dévoilent des frontières métaphoriques et esquissent une cartographie symbolique des zones et groupes humains les plus sensibles. Elles évoquent les sources de l’hospitalité, rappellent son effectivité passée, convoquent des images liées à l’impérativité du départ, à la réalité du déplacement, aux formes incarnées du déracinement.

De leurs expériences ou appréhensions personnelles de l’exil, les artistes livrent des motifs oscillant entre ouverture et fermeture, liberté et empêchement, résignation et résistance.

Ils rappellent que si le secours n’est pas hospitalité, des abris s’imposent néanmoins comme possibles prémices d’une vie nouvelle. Leurs œuvres nous amènent à reconnaître que « nulle part est un endroit »* et que le soin et la bienveillance sont des tensions naturelles niant l’invisibilité de l’Autre.

* Du titre de l’oeuvre de Richard Baquié, Nulle part est un endroit, 1989.

« Ya Rayah », L’exil et le retour au point de départ est le thème de cette célèbre chanson du chanteur algérien Dahmane El Harrachi, reprise par Rachid Taha qui a nous a quittés il y a peu.

Ingrid Jurzak est commissaire de l’exposition. Diplômée en histoire de l’art, Ingrid Jurzak se spécialise dans l’art contemporain à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne.[…] Elle rejoint l’équipe de conservation du MAC VAL en 2009. Attachée de conservation du patrimoine, Ingrid Jurzak est aujourd’hui chargée de l’étude et de la gestion de la collection du MAC VAL et contribue à sa valorisation [… ]

3 questions à…

Alexia Fabre, conservatrice en chef du MAC VAL et Hélène Orain, directrice générale du Palais de la Porte Dorée – Musée national de l’histoire de l’immigration

Pourquoi cette exposition inédite entre vos deux musées ?

D’abord l’envie de faire une exposition à deux voix, dans deux lieux, sur un même sujet partagé, celui de l’hospitalité. Nous avions beaucoup de choses à dire en commun sur cette question. Nos collections se complètent parfaitement et nos visiteurs sont sensibles à cette actualité autour de l’accueil des migrants.

À travers cette exposition, vos deux musées prennent position en faveur de l’accueil des migrants ?

Pour nous Musées, la question n’est pas de prendre position pour ou contre l’accueil des migrants. En revanche, nous sommes convaincus que les institutions culturelles comme les nôtres doivent se saisir des enjeux contemporains. Les flux sont là, c’est un fait. Nous ne sommes pas « hors sol » ou déconnectés de l’actualité, bien au contraire. Il n’y a pas un jour sans un nouvel article, un nouveau reportage sur ce qu’on appelle à tort ou à raison «la crise migratoire». Et sur ce sujet précisément, les artistes ont des choses à dire. Ils nous interrogent sur l’hospitalité, le rejet, mais dévoilent aussi les mains tendues ou les motifs d’espoir.

L’exposition Persona grata, c’est un acte militant ?

Persona grata, c’est une exposition cri du cœur, celui des artistes contemporains face à l’exclusion de l’Autre. C’est une exposition pour agiter les consciences.

Innocence, by REZA Deghati

Reza Deghati, Innocence, Afghanistan, near Tora Bora in the Pashtoun tribal zone 2004, worldbeneaththefeet

Focus sur quelques œuvres de l’exposition

Marcos Avila Forero

Marco Avila Forero-Cayuco-Sillage Oujda Melila@InfoMigrants

Marcos Avila Forero, Cayuco, Sillage Oujda / Melilla – Un bateau disparaît en dessinant une carte, 2012. Marcos Avila Forero, Cayuco, Sillage Oujda / Melilla – Un bateau disparaît en dessinant une carte, 2012. Vidéo HD, couleur, son, 55’. Collection Frac Aquitaine.© Adagp, Paris 2018. Marcos Avila Forero

La vidéo Cayuco, Sillage Oujda / Melilla – Un bateau disparaît en dessinant une carte met en scène trois hommes – l’artiste et des hommes rencontrés au cours de son voyage – qui poussent ou tirent une embarcation. Il s’agit d’un cayuco, frêle bateau de pêche utilisé par les migrants pour rejoindre l’Andalousie depuis les côtes africaines. La route empruntée par le groupe relie Oujda, ville au nord-est du Maroc, et Melilla, enclave espagnole sur le continent africain, parcelle d’Europe convoitée par des milliers de migrants. Construite en plâtre, la barque se détruit petit à petit au cours de son déplacement sur cette route sinueuse, laissant sur l’asphalte sa marque blanche, tel un sillage sur la mer.

Dans ses installations, performances filmées ou photographies, Marcos Avila Forero rend compte d’un contexte social particulier qu’il observe attentivement. La situation géopolitique du monde ainsi que son histoire personnelle influencent les thèmes de ses recherches. Colombien né en France, il vit et travaille aujourd’hui entre les deux pays. La création d’objets et l’implication de son propre corps sont au cœur de sa pratique : il fait ici l’expérience directe de cet épuisant périple.

Richard Baquié

Richard-Baquie Persona grata

Richard Baquié, Nulle part est un endroit, 1989. Zinc plié et soudé, photographies noir et blanc sous verre, 200 x 446,5 x 30 cm. Collection MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne. Acquis avec la participation du FRAM Île-de-France. Photo © DR. © Adagp, Paris 2018.

Actif dès le début des années 1980, Richard Baquié est une figure singulière de la scène artistique française : sa réflexion mêle une dimension conceptuelle à un usage bricolé de la matière. Mort prématurément en 1996, il laisse de nombreuses sculptures innervées par le travail des mots et des objets : « Que reste-t- il de ce que l’on a pensé », « Le Temps de rien », « L’errance est fondatrice », « Un jour ici ou là »… Nulle part est un endroit interroge la situation, le lieu. La forme en réseau qui relie les mots entre eux évoque un plan à l’échelle incertaine ou encore la modélisation d’une molécule. Dans la lignée de la pensée des Situationnistes, la valorisation de la dérive et de la déambulation, tant physique que mentale, est au cœur de ce travail. Grâce à l’usage de fragments de paysages photographiques urbains et de verre brisé, potentiellement coupant, une dynamique brute du raccourci et du contraste s’épanouit, jumelle de celle du collage Dada. Comme dans un grand nombre de ces œuvres, Richard Baquié joue ici d’un aller-retour : ouvrir les mots pour en faire surgir le visible et ouvrir les choses pour en faire surgir l’énoncé.

Ben

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Ben, Marianne en deuil pour non-respect des droits des peuples, 1989. Plâtre, tissu, os, bois, 69 x 37 x 20 cm. Collection Musée d’art moderne, Céret. © Adagp, Paris 2018. Photo © DR.

Ben est un artiste rendu célèbre par ses phrases manuscrites peintes sur fond noir. Il y manipule avec humour les notions de talent, de statut de l’art et de l’artiste. La notoriété, le non-sens, la provocation, le paradoxe sont autant d’outils qui lui permettent d’interroger le pouvoir des mots. Cette sculpture a été créée en 1989 pour le concours «Une Marianne pour la Ville de Céret». Le symbole de la nation, Marianne, et le contexte, celui du bicentenaire de la Révolution, fournissent à l’artiste une opportunité pour contester la célébration patriotique. Le voile noir donne la clef de lecture de l’inscription « en deuil pour non-respect des droits des peuples ».

Il n’y a pas cette fois d’humour ni de double-sens. La phrase est une critique directe du traitement par l’État des langues et des cultures minoritaires. Ben est en effet, depuis les années 1960, un défenseur résolu de l’Occitan. Cette revendication n’est pas exclusive ; elle a amené l’artiste à définir le concept d’« ethnisme », dont il a publié en 1991 le manifeste. Cet engagement est fondé sur la conviction que la diversité linguistique et culturelle de l’espèce humaine doit être respectée et préservée.

Clément Cogitore

Clément Cogitore Parmi nous Mac Val

Clément Cogitore, Parmi nous, 2011. Film 35 mm transféré en vidéo HD, couleur, son, 30’. Avec l’aimable autorisation de Kazak Productions. © Adagp, Paris 2018.

Pour Clément Cogitore, toute image est liée à un récit. C’est cette dimension narrative qu’il explore à travers ses films, ses documentaires et ses photographies. Dans Parmi nous, il choisit d’aborder la « jungle » de Calais en recourant à la fiction. Amin, jeune clandestin, vient de rejoindre un campement dans la forêt. Chaque nuit est l’occasion de tenter de gagner la zone portuaire et d’embarquer sous les camions.

À l’opposé de tout misérabilisme, l’artiste fait d’Amin un personnage héroïque dont nous suivons la quête. Reprenant la structure des contes traditionnels, il fait passer Amin par une série de rencontres, d’apprentissages et d’épreuves. Une rave party, un bain en forêt et un combat avec un chien sont autant d’étapes de ce chemin initiatique vers l’au-delà.
La dimension poétique et métaphorique de ce récit permet à Clément Cogitore de questionner l’identité de ceux qui sont d’un côté ou de l’autre de la frontière. Effaçant les limites entre «gens d’ici » et « gens d’ailleurs », c’est l’image d’une humanité perdue dans la nuit qu’il donne à voir au spectateur.

Mona Hatoum

Mona Hatoum Suspension mac-val-personna-grata-slash-paris-immigration01-1_medium@Slash Paris

Mona Hatoum, Suspendu, 2009-2010. , Suspendu, 2009-2010. Médium stratifié, chaînes en acier, dimensions variables. Collection MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne. Acquis avec la participation du FRAM Île-de-France. Photo © Jacques Faujour.

Mona Hatoum est née à Beyrouth de parents palestiniens forcés à l’exil. En 1975, elle quitte le Liban pour un séjour de courte durée à Londres mais la guerre civile libanaise éclate et rend impossible son retour. Elle vit désormais dans la capitale britannique. À l’occasion d’une résidence artistique au MAC VAL, de 2009 à 2010, elle choisit de reprendre et décliner l’un de ses motifs privilégiés : la carte. Dans l’installation Suspendu, forêt de quarante balançoires, la carte devient un jeu de position, une géographie instable et hors sol, en attente de mouvement. Chaque assise est gravée du plan d’une capitale ou d’une ville évoquant notamment l’origine des habitants que l’artiste croise lors de son séjour à Vitry-sur-Seine. Ces plans géométriques représentent dans leur tracé des parcours vécus, autant d’histoires familiales marquées du sceau de l’Histoire. Archipel mouvant de territoires schématisés, de places assignées, Suspendu rappelle l’arbitraire des frontières comme l’instabilité des destinées. L’installation matérialise également les facettes d’une communauté cosmopolite et harmonieuse.

Bouchra Khalili

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The Constellations n°2, 2011 (Tunis, Naples, Marseille), Sérigraphie sur papier contrecollée sur aluminium, 65 x 45 cm. Collection Musée national de l’histoire de l’immigration, Palais de la Porte Dorée, Paris. Photo © Lorenzo. © Adagp, Paris 2018.

Le travail de Bouchra Khalili est peuplé de récits de luttes individuelles et collectives, avec pour arrière-plan la crise de l’État-Nation. Son attention au langage, au corps, aux récits historiques est au coeur d’enjeux d’émancipation, de visibilité et de transmission. Entre 2008 et 2011, Bouchra Khalili réalise l’installation vidéo The Mapping Journey qui expose huit itinéraires de voyages clandestins contraints. Chacune des vidéos montre une carte géographique sur laquelle une personne dessine au feutre son trajet, en même temps qu’elle en fait le récit de manière factuelle. Les huit sérigraphies The Constellations sont issues des dessins de The Mapping Journey, que Bouchra Khalili transfère en pointillé sur un fond bleu uni. Seuls quelques noms de villes subsistent de ces trajectoires et les chemins s’apparentent alors à plusieurs constellations d’étoiles, rappelant les cartographies célestes qui permettaient aux navigateurs de s’orienter dans un espace dénué de repères. Prises dans leur ensemble, elles forment une juxtaposition de nouvelles routes, la trace de chemins singuliers

Kimsooja

Kimsooja Bottari Truck infoMigrants

Kimsooja, Bottari Truck – Migrateurs, 2007-2009. Photographie couleur, caisson lumineux, 128 x 182,5 x 25,5 cm. Collection Musée national de l’histoire de l’immigration,
Palais de la Porte Dorée, Paris.

Le voyage, le nomadisme, l’errance sont des notions prégnantes dans la vie et dans l’art de Kimsooja. En 1997, elle sillonne la Corée, revisitant les lieux de son enfance, à bord d’un camion chargé d’une pile de bottaris – des baluchons en tissus colorés servant traditionnellement à protéger et transporter des objets personnels.

Elle actualise cette performance en 2007, à l’occasion d’une résidence au MAC VAL. De Vitry-sur-Seine à Paris, elle choisit de passer par des lieux emblématiques de sièges, de soulèvements ou de réunions populaires tels que la place de la Bastille, dont on aperçoit la colonne de Juillet sur la photographie tirée de la vidéo. Les bottaris sur lesquels l’artiste apparaît juchée sont cette fois-ci confectionnés à l’aide de tissus récoltés auprès de l’association Emmaüs, comme autant de traces individuelles. Ce voyage prend fin à l’Église Saint-Bernard dans le 18e arrondissement, lieu symbolique de la lutte de centaines de «sanspapiers» qui, en 1996, réclamant leur régularisation, occupèrent l’édifice avant d’en être expulsés. La photographie se fait ainsi allégorie de la migration mais aussi de la résistance collective.

Bruno Serralongue

Bruno Serralongue Abri 7 Mac Val

Abri #7, série « Calais », 2006-2007.Tirage ilfochrome contrecollé sur aluminium, cadre en Plexiglas, 125 x 158 cm. Collection Musée national de l’histoire de l’immigration, Palais de la Porte Dorée, Paris.

Bruno Serralongue photographie des lieux sensibles où des combats, des souffrances et des espoirs se cristallisent. Ses photographies fonctionnent par séries, à partir d’un évènement médiatisé le poussant à se rendre sur place pour constater l’information de ses propres yeux. Avec les Abris, Bruno Serralongue fait le choix du hors champ. Aux antipodes du reportage spectaculaire, il photographie les installations fragiles des centaines de migrants dispersés dans les environs de Calais, reproduisant, par sa distance, la marginalité à laquelle le pouvoir les condamne. Il privilégie les refuges précaires, les vestiges d’abris, les scènes destinées à échapper au regard. Son matériel est lourd et le protocole complexe : une chambre photographique qui implique un trépied, un temps de pose, un cadrage minutieux, très peu de photographies réalisées et beaucoup de discussions. L’immobilité force à concentrer le regard. Ses images s’opposent à la photographie de presse en proposant une autre vitesse d’accès à l’information. Pour éviter les écueils du photojournalisme humaniste, Bruno Serralongue assure qu’« il ne faut pas photographier les migrants comme si leur identité se résumait à ce statut. Il faut garder en tête que ce moment de dénuement extrême est un moment de leur vie, pas toute leur vie ».

Société Réaliste

societe-realiste-camouflage-collection-mac-valPoint contemporain

U.N. Camouflage, 2012. Impression numérique sur polyester, 100 x 150 cm (chaque drapeau). Collection MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne. Acquis avec la participation du FRAM Île-de-France. Photo © Marc Domage.

Société Réaliste s’intéresse aux formes de pouvoir et de savoir institutionnels pour en déconstruire les codes officiels. U.N. Camouflage est une œuvre fondée sur l’appropriation et le détournement. Composée de 193 drapeaux, son titre générique fait référence aux 193 États Membres de l’Organisation des Nations Unies, fondée en 1945 pour faire régner la paix dans le monde. Si les couleurs de chaque drapeau demeurent reconnaissables, respectant leurs proportions d’origine, leurs caractères identitaires se fondent dans un motif de camouflage, brouillant leur perception. Ce motif, emprunté aux dispositifs militaires, renvoie aux incessants conflits mondiaux et pointe certains échecs de l’ONU. De l’Afghanistan au Zimbabwe, les particularismes nationaux s’effacent en faveur d’une abstraction picturale, abolissant l’idée de territoires et frontières géopolitiques, proposant une nouvelle carte du monde ouverte à la circulation des personnes.

Djamel Tatah

Djamel Tatah sans titre @Mac Val

Sans titre, 2008

Djamel Tatah est un peintre de la figure. Ses personnages apparaissent cependant comme des taches compactes sur un fond monochrome, conférant à l’œuvre une dimension abstraite et fantomatique. L’absence de titre, récurrente pour chacune de ses toiles, rend plus énigmatique encore leur présence suspendue. Pour ce triptyque, les personnages grandeur nature semblent s’absenter du tableau, à la fois du champ de la peinture et du réel, du temps comme de l’espace. Ils se meuvent dans un univers vide, tout événement extérieur étant exclu du tableau. L’absence de ligne d’horizon supprime les repères spatiaux ainsi que la sensation de pesanteur et donne aux corps cette impression de flotter. Seules les mains fonctionnent encore comme des signes, tenant les corps comme pour les retenir dans leur envol ou leur chute et pour les ramener au monde. Dans cette œuvre métaphysique, les postures du corps symbolisent un état d’être dans le monde, révélant une fragilité et une instabilité. Cette série fut inspirée à l’artiste par une phrase de la philosophe allemande Hannah Arendt : « La chute prise en vol / Qui tombe, vole / Puis s’ouvrent les abîmes / L’obscur vient au jour ».

Sources et ressources

Photo 1-Reza Deghati, Beauty, China, Ku Gush Lugh School 1995, world beneaththefeet

http://www.personagrata.museum

http://www.palais-portedoree.fr

http://www.webistan.com

http://www.theworldbeneaththefeet.com