Vivre comme un arbre, seul et libre,
Vivre en frères comme les arbres d’une forêt,
Ce rêve est le nôtre !
Nazim Hikmet
Le temps de l’olivier
Je suis du temps de l’olivier
des amitiés non dispersées
souvent bien lentes à pousser
mais au cœur enracinées.
Je suis du champ de l’olivier,
des cueillettes bien partagées.
Propriétaires et employés
tout simplement se mélangeaient.
Je suis du temps où s’échangeaient
poignées de mains plus que baisers,
regards droits en fraternité,
couplets et refrains de paix.
Je suis du chant de l’olivier.
Colette Muyard
Dans la mer et le corps
Dans la mer et le corps, il y a l’eau, le minéral, le fer. Les muscles durs de la fatigue, du charbon et de l’or. Quelques fièvres, des froidures, des volcans. Il y a du temps juste pour le plaisir, du temps à perdre et à mourir, le dur désir de durer et les horloges internes, les heures de feu, les instants de glace prête à rompre.
À l’intérieur du corps tremblent les formes du cri de la soie, à l’endroit où la soif nous dénude, et laisse pour seul vêtement la peau des feuilles de mûrier blanc.
Sciences de la mer, dites-moi les mers courtes et longues, les cyclones, les grands frais de mers froides, répondez-moi : est-ce que la mort est une lueur bleue ? Est-ce qu’elle blanchit comme nos cheveux ?
Le corps secoué, tendu à l’endroit de ses masques, s’écartèle entre rythmes contraires, énergies premières et magie du double.
L’appui, l’élan, le point d’appel : tout se réduit à un geste unique.
Est-ce ici l’origine de la nage, de la danse, des éclats de lecture ?
Ici le brandon ? Ici où la première voix brûle ?
Sylvie-E. Saliceti
A ma terre natale de toute sa joie, de toute sa peine…
J’aime cette terre
Même si j’étais un oiseau
avec mon gosier enroué je chanterais
cette terre fouettée par les tempêtes
ces fleuves où déferlent nos colères et nos peines
ce vent furieux qui n’en finit pas de souffler
et cette aube infiniment tendre venue de la forêt…
Enfin avec la mort
je laisserais mes plumes se décomposer dans la terre
Ah! pourquoi mes yeux sont-ils toujours embués de larmes
Parce que j’aime cette terre d’un amour très profond…
Ai qing
Je parle de légendes
Je parle de légendes
Je parle de mon ancêtre :
Ses paumes avaient une odeur d’alluvion
Et son dos une plaie comme un hibiscus écarlate
Il parlait des collines traversées,
Il parlait des forêts et des fauves,
Il parlait du labourage des jachères.
Chaque mot véritable est un poème
Chaque graine d’un champ labouré est un poème.
Celui qui ne sait pas apprécier la poésie
Entendra les gémissements de l’orage.
Celui qui ne sait pas apprécier la poésie
Se privera du droit à l’horizon
Celui qui ne sait pas apprécier la poésie
Restera à vie un esclave.
Abu Jafar Obaidulllah
Le nu perdu et autres poèmes
De quoi souffres-tu ?
De l’irréel intact dans le réel dévasté ?
De leurs détours aventurés, cerclés d’appel et de sang ?
De ce qui fut choisi et ne fut pas touché ?
De la rive du bon au rivage gagné ?
Du présent irréfléchi qui disparaît ?
D’une étoile qui s’est la folle, rapprochée et qui va mourir avant moi ?
René Char
Eloge de l’autre
Celui qui marche d’un pas lent dans la rue de l’exil
C’est toi
C’est moi
Regarde-le bien, ce n’est qu’un homme
Qu’importe le temps, la ressemblance, le sourire au bout des larmes
l’étranger a toujours un ciel froissé au fond des yeux
Aucun arbre arraché
Ne donne l’ombre qu’il faut
Ni le fruit qu’on attend
La solitude n’est pas un métier
Ni un déjeuner sur l’herbe
Une coquetterie de bohémiens
Demander l’asile est une offense
Une blessure avalée avec l’espoir qu’un jour
On s’étonnera d’être heureux ici ou là-bas.
Tahar Ben Jelloun
Ne te moque pas de l’indien
Ne te moque pas de l’indien
qui descend des montagnes
laissant ses chèvres et ses douces brebis,
ses terres à l’abandon.
Ne te moque pas de l’indien si tu le vois muet
un peu fruste et tout assommé de soleil.
Ne te moque pas si à travers rues
tu le vois trottant comme un lama
une guanaco apeuré, un âne rétif
poncho et chapeau sous le bras.
Ne méprise pas l’indien si au plein du soleil
tu le trouves tout emmitouflé dans sa laine
et trempé de sueur.
Pense, ami, que celui-là descend de là-haut
où un vent de glace entaille les mains
et fait éclater les cals des pieds.
Ne ris pas de l’indien si tu le vois
mâchant son maïs cuit
ou cette viande dure qu’il a traîné jusqu’ici, sur cette place,
par quelque sentier glacial ou le long d’un fleuve.
Le voilà qui descend vendre ses cuirs, vendre sa laine
pour acheter son sucre, ramener sa farine.
Il aura même sur lui sa monnaie et son manger
pour ne rien devoir te demander.
Ne te paye pas de sa gueule d’indien qui vit sur sa frontière
par là-bas, vers le col de Zenta,
car si tu vas par ses montagnes
il t’ouvrira les portes de sa cahute
te versera son alcool de maïs et te passera son poncho.
Près de ses gosses, tu mangeras ce qui lui reste
et rien en échange.
Ne te paye pas la gueule de cet indien qui cherche le silence
et fait monter ses fèves entre les caillasses d’ardoises
là-bas, sur ces hauteurs où rien ne pousse.
Car c’est ainsi que survit l’indien sur sa propre terre
sa terre mère, sa Pachamama.
Au bord du quai
Et qu’importe d’où sont venus ceux qui s’en vont,
S’ils entendent toujours un cri profond
Au carrefour des doutes !
Mon corps est lourd, mon corps est las,
Je veux rester, je ne peux pas ;
L’âpre univers est un tissu de routes
Tramé de vent et de lumière ;
Mieux vaut partir, sans aboutir,
Que de s’asseoir, même vainqueur, le soir,
Devant son œuvre coutumière,
Avec, en son cœur morne, une vie
Qui cesse de bondir au-delà de la vie.
Emile Verhaeren, Les visages de la vie
Si chaque jour…
Si chaque jour
tombe dans chaque nuit
il existe un puits
où la clarté se trouve enclose.
Il faut s’asseoir sur la margelle
du puits de l’ombre
pour y pêcher avec patience
la lumière qui s’y perdit.
Pablo Neruda